L’équipe au pouvoir en Haïti en 2025, installée sans passer par des élections, pourrait-elle répéter le schéma de 1918 en imposant au pays une Constitution déjà rédigée, à moins de quatre mois de la fin de l’année ?
Haïti 1918 : un référendum sous tutelle, entre légalité formelle et occupation militaire
Le communiqué publié le 18 juin 1918 par le Secrétariat d’État de l’Intérieur annonçait triomphalement le résultat du premier référendum constitutionnel en Haïti : 98 294 voix en faveur du projet contre 769 « non ». L’écrasante majorité affichée parait traduire un consensus national. En réalité, cette consultation doit être replacée dans son cadre politique et juridique particulier : celui de l’occupation américaine (1915-1934).
Un scrutin convoqué par décret présidentiel

Le décret du 8 mai 1918, signé par le président Sudre Dartiguenave, convoqua le peuple haïtien à se prononcer sur un projet de Constitution rédigé en étroite concertation avec les autorités d’occupation. Le scrutin eut lieu le 12 juin et les résultats furent communiqués officiellement six jours plus tard, le 18 juin, via Le Moniteur (n°36). Cette rapidité administrative contrastait avec l’absence de mécanismes indépendants de contrôle du vote, laissant planer un doute sur l’authenticité des chiffres avancés.
Si la Constitution de 1918 introduisait certaines réformes, dont l’ouverture de la propriété foncière aux étrangers (article 6), elle portait surtout la marque d’un texte imposé sous la pression des États-Unis. L’organisation du scrutin s’effectua dans un contexte de censure, de présence militaire étrangère et de faiblesse institutionnelle. L’« unanimité » des résultats – plus de 98 % de « oui » – évoque davantage une ratification symbolique qu’une véritable délibération populaire.
La rupture avec l’esprit de 1806 et 1879
Les textes constitutionnels haïtiens antérieurs, notamment celui de 1806, issu du régime dessalinien, et celui de 1879, s’inscrivaient dans une tradition de souveraineté jalouse et de méfiance vis-à-vis de l’ingérence étrangère. En 1918, l’octroi du droit de propriété aux étrangers représentait une rupture majeure avec ce corpus. L’historien Roger Gaillard soulignait que cette Constitution fut « l’aboutissement juridique de l’occupation américaine » et une négation de la continuité nationale.
Un précédent lourd de conséquences
Le référendum de 1918 illustre les tensions entre légalité formelle et légitimité politique. En obtenant un vote « massif » en faveur du projet, les autorités entendaient donner une façade démocratique à une réforme largement dictée par Washington. Cette stratégie allait marquer durablement le rapport entre Haïti et les référendums constitutionnels ultérieurs, souvent perçus comme des instruments de manipulation politique plus que comme des expressions authentiques de la souveraineté populaire.
À travers la lecture du communiqué officiel du 18 juin 1918, il apparaît que ce premier référendum constitutionnel fut moins une consultation libre qu’un acte d’accommodement entre l’exécutif haïtien et la puissance occupante. L’« écrasante majorité » n’était pas le reflet d’une adhésion populaire, mais la traduction chiffrée d’un rapport de force imposé. Le précédent de 1918 éclaire ainsi, avec plus d’un siècle de recul, les débats contemporains autour des mécanismes référendaires en Haïti et leur fragilité face aux contraintes externes et aux déficits de légitimité interne.
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Le Moniteur n°36 (18 juin 1918) : publication des résultats du référendum convoqué par le décret de Sudre Dartiguenave
06-19-1918TéléchargerThe post Dartiguenave 1918 : du décret du 8 mai au vote du 12 juin et à la proclamation du 18 juin, itinéraire du premier référendum constitutionnel en Haïti first appeared on Rezo Nòdwès.
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