L’inconnu de Mer frappée
Robert Lodimus

Chapitre V
L’ARRESTATION
Mon père paraissait étonné de me voir. Il m’a pris dans ses bras et m’a serré très fort contre lui. Le sergent Oscar, qui habitait presqu’en face de nous, contemplait de loin la scène émouvante de retrouvailles. Il nous a salués timidement de la main. Son visage découvrait de l’embarras. Oscar ne portait jamais d’armes à feu. Lorsqu’il n’était pas à la caserne, il discutait des parties de dames avec les adultes de la place ou jouait aux billes en compagnie des gamins qui l’appelaient respectueusement « oncle Oscar ».
– Racontez-moi pour les examens, fiston !
– Je crois que tout s’est bien passé. Je n’ai éprouvé aucune difficulté.
– Votre mère, votre frère et votre sœur, ils vont bien ?
– Oui, tout le monde va bien…
– Cela fait plaisir de le savoir. L’important pour moi, c’est que vous n’êtes pas menacés…
– Quand est-ce que vous allez revenir à la maison ?
– Bientôt ! Enfin,… bientôt !
– Pourquoi vous gardent-ils ici ?
– Je ne sais pas ! Ils ne m’ont pas dit grand-chose !
– Ils vous ont dit quoi, exactement ?
– Ils m’ont dit « pour simples formalités »… ! Vous savez, ce n’est pas un endroit pour les enfants. Ici, ils se passent de temps en temps des choses bizarres, ignobles même. Je n’aimerais pas que vous en soyez témoin. Cela pourrait déranger votre esprit… Vous êtes trop jeune… Nous sommes dans un lieu laid, méprisable, méchant, impitoyable… Et puis, il va pleuvoir… Votre mère doit déjà s’inquiéter pour vous… Rentrez vite à la maison ! Dites-lui que tout va pour le mieux !
Dehors, les vents devenaient tout à coup furieux. Ils soufflaient en rafales et transperçaient la chemise légère et le pantalon en dacron qui protégeaient mon corps frêle. Les nuages gris se déplaçaient rapidement comme un paysage qui défile au passage d’un véhicule à moteur. Dans la rue, je croisais des passants qui marchaient très vite, qui couraient même dans toutes les directions pour échapper aux bouffées de pluie qui allaient s’abattre sur la ville. J’ai eu le temps de rentrer à la maison tout juste avant le déclenchement des averses. Cette nuit-là, les rivières sont sorties de leur lit… Des centaines de maisonnettes se noyaient dans les rues transformées en torrents… Les sinistrés se sont refugiés dans les temples religieux et sur les toits des grands immeubles en béton… Ma mère écartait les rideaux en tissu ; et à travers les volets de lamelles légèrement écartés, déposés sous les fenêtres, elle pouvait suivre durant toute la nuit le mouvement de l’eau… Ma sœur Gabriela, mon frère Diderot et moi sommes restés assis dans le salon, enveloppés dans des couvertures de coton qui nous ont gardés au chaud. Une voix masculine a résonné dehors : « Restez tous derrière moi… ! Marchez dans mes pas… ! Et surtout, gardez votre calme… !»
À trois heures du matin, ma mère jugeait que le niveau de l’eau s’était stabilisé. Pour elle, le danger était passé. Elle nous a demandé de regagner nos lits. Malgré la fatigue qui pesait sur mon cerveau, je n’arrivais pas à atteindre le royaume d’Hypnos. J’ai entendu des bruits de pas dans le salon. Depuis l’enfermement d’Émilio, Éliane dormait peu. Notre mère cumulait des nuits insomnieuses. Elle paraissait complètement épuisée. Son énergie baissait comme la flamme d’une bougie dans une chapelle. Et surtout, elle s’inquiétait du sort qui serait réservé au seul homme qu’elle a connu depuis son adolescence, au cas où la situation franchirait le cap d’une tragédie irréparable. Victor Hugo a lui-même parlé de « châtiment irréparable ».
Beaucoup d’individus qui entrent dans les prisons du gouvernement de 1957 n’en ressortent pas… vivants. Ils disparaissent à la manière d’une petite embarcation qui se perd derrière la ligne de l’horizon, sans avoir la possibilité de revenir vers la côte. Des voyageurs de nuit qui venaient des localités avoisinantes rapportaient qu’ils avaient entendu plusieurs fois des crépitements d’armes automatiques au pied du morne Biénac, et des voix de femmes et d’hommes qui gémissaient de douleur… Selon les adultes, il ne pouvait s’agir que d’exécutions sommaires de prisonniers politiques ou de droit commun… Les geôliers trouvaient une façon particulière d’annoncer les mauvaises nouvelles aux membres de la famille des incarcérés qui leur apportaient de la nourriture tous les jours : « Madame, monsieur, retournez chez vous avec le repas… Ce n’est plus la peine de revenir…! » Les pauvres gens fondaient doucement en larmes et, parfois même, perdaient connaissance…
L’arrière de la bâtisse vétuste, peinte en jaune, qui abritait le quartier général des forces armées, donnait sur l’établissement des Frères de l’instruction chrétienne. Les deux institutions, dont l’une carcérale et l’autre scolaire, sont séparées par la Savane Poudrière, une sorte de terrain vague où s’élève à l’extrémité droite un mémorial de la proclamation de l’indépendance appelé aussi la « place Bouteille ». La petite histoire relate que c’est à cet endroit que Capois-la-mort s’est enivré le 1er janvier 1804, lorsqu’il fêtait la naissance de l’État haïtien. Les élèves de troisième, seconde, première de notre école y venaient discuter des parties de football pendant les courts instants de récréation. Les autorités de la ville s’en servaient plusieurs fois au cours de l’année pour la célébration des fêtes nationales : 1er janvier, 1er mai, 18 mai… À gauche, un peu plus loin, il y avait l’école des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Les fenêtres de certaines cellules, protégées par des barres de fer solides, donnaient sur la rue Chrysostome Humbert. Des prisonniers parvenaient à s’y accrocher pour s’adresser aux passants. Ils en profitaient pour leur solliciter du pain et de l’argent. Ils disaient qu’ils avaient faim, qu’ils étaient battus, maltraités, torturés, et qu’ils craignaient sérieusement pour leur vie. Ils n’avaient pas tort. Très souvent les pleurs scandaleux des détenus que l’on semblait sauvagement bastonner arrivaient jusqu’aux oreilles des écoliers, des automobilistes, des piétons et des habitants du quartier. Des individus révoltés criaient « Bande de criminels, arrêtez de maltraiter ces malheureux individus…Vous n’irez pas au paradis ! »
Les prisonniers politiques classés dangereux, écroués à la Caserne Toussaint-Louverture, se voyaient exclus des privilèges réservés aux autres individus claquemurés dans les cellules exigües. Le commandant militaire du département de l’Artibonite, Achab Garat, leur interdisait tout contact avec les proches parents. « L’ordre est venu d’en haut », se plaisait-il à répéter, comme pour montrer l’importance des relations qu’il entretenait avec le palais national. « Pas de nourriture pour ces malfrats… ! » Alors, les « cadenassés » devaient se contenter d’avaler les saletés préparées dans la messe infecte. C’était le cas d’Émilio et de nombreux autres captifs qui marinaient, comme une viande saumurée, dans une section cafardeuse du couloir de la mort. Ils portaient le matricule angoissant réservé à une poignée de prisonniers politiques, disparates, issus de toutes les couches sociales : notables, campagnards, montagnards, lettrés, analphabètes, gens de bien, voyous… Ils étaient tous accusés de conspirer contre le pouvoir vampirique de 1957 et attendaient crânement le peloton d’exécution fantôme, sans le moindre signe de défaillance morale et de couardise. Ces bourreaux en cagoule noire sont formés à l’école du nazisme hitlérien et du fascisme mussolinien. Après la défaite de l’armée allemande en 1945 par les puissances alliées, beaucoup de nazis ont fui l’Europe pour échapper au Tribunal de Nuremberg. Ils se sont éparpillés dans plusieurs régions des Amériques. Ils ont changé d’identité et ont pu recommencer tranquillement une nouvelle vie ailleurs. La justice des vainqueurs de la guerre – les maîtres à penser de Yalta – ont complètement, mais expressément, perdu leurs traces ! À Yalta, le Japon et l’Allemagne sont devenus des quartiers de chair d’animaux qui ont servi à récompenser les loups féroces qui ont combattu, survécu et triomphé en Normandie… Certaines personnes laissaient entendre que des criminels du troisième Reich, qui avaient trouvé refuge au pays des Haïtiens en fin de règne d’Élie Lescot, étaient récupérés par François Duvalier pour qu’ils transférassent leurs savoirs faire, leurs connaissances en matière de torture, leurs méthodes d’assassinat, leurs pratiques d’exécution sommaire… aux chefs militaires ma coutes et à tous les tortionnaires qui relevaient de la milice diabolique fondée par le redoutable Clément Barbot. Fait bizarre et étonnant, cet être monstrueux, originaire de la ville des Gonaïves, était un membre de notre famille qui avait fondé l’Habitation dénommée Phaéton, située aux environs du wharf de Sedren, et dans les parages du morne Lapierre. Une des sœurs de Barbot, qui s’était désolidarisée entièrement des actes du boucher des Caraïbes, habitait chez ma grand-mère consanguine. Au retour de l’école, elle contrôlait régulièrement mon carnet de notes, m’incitait à étudier mes leçons d’histoire et de géographie, m’aidait à préparer mes dictées et à rédiger mes devoirs d’arithmétique.
Clément Barbot – apprenait-on – voulait, par esprit de vengeance, assassiner François Duvalier, qui l’avait humilié et emprisonné durant 16 mois – d’autres ont dit 1 an et demi – à Fort Dimanche. Le rebelle et son frère Harry a pris la tête d’un mouvement de guérilla dirigé contre le régime qu’ils avaient aidé à construire dans le sang. En fin de compte, c’est lui, Clément Barbot, dénoncé par le dénommé Élisma, qui fut piégé comme un vieux rat dans son trou. Il s’est fait percer la peau comme une passoire dans un champ de canne à sucre situé à la Croix-des-Bouquets, au nord-est de la capitale.
Le personnage cynique de Barbot rappelait curieusement celui de Laurent dans le roman funèbre d’Émile Zola, Thérèse Raquin : un assassin sans conscience, incapable de faire son acte de contrition ou de manifester le moindre sentiment de remord devant le cadavre de Camille, son ami d’enfance, le mari trompé qu’il a lâchement noyé dans les eaux de la Seine, afin d’avoir le champ libre pour épouser Thérèse, sa chaude et cynique maîtresse… Comme Laurent, l’ancien chef des Volontaires de la sécurité nationale (VSN), Clément Barbot, passait des journées entières à contempler les corps tuméfiés et sans vie de ses victimes innocentes. Il était allé à l’école de la mort et il avait bien appris, bien maîtrisé sa profession. Cependant, d’exécuteur de basses œuvres au statut funeste d’exécuté – dans les milieux de la pègre comme dans les bas-fonds de la politique – il n’y a toujours que quelques pas à franchir du Capitole à la roche Tarpéienne… Dans de nombreux cas, le bourreau ordurier du matin ne devenait-il pas bêtement la victime naïve du soir ?
Le miracle auquel notre mère, Éliane Francoeur, n’espérait plus s’est produit huit mois plus tard. À une heure très avancée de la nuit, quelqu’un frappait nerveusement à la porte d’entrée de la maison. Ma mère était encore éveillée. D’ailleurs, depuis la détention arbitraire de notre père, Émilio Victor Paulémon, dans des conditions difficiles et périlleuses, elle n’arrivait plus à joindre ses deux paupières. Ses joues devenaient creuses et blafardes. La pauvre femme ne prenait même plus le temps de se coiffer… Le monde, autour d’elle, n’existait simplement pas. Dehors, l’obscurité étreignait rudement le paysage. La ville entière coupait sa respiration pour échapper à la fureur des démons en kaki bleu. Cette atmosphère de silence tombal n’était troublée que par les aboiements percutants du chien de notre voisine Henriette et par les bruissements d’ailes sporadiques d’une colonie de chauves-souris qui partageaient la vieille baraque en bois avec les Séraphin. Combien étaient-elles vraiment, ces maudites bestioles ? Chaque année, elles devenaient en core plus nombreuses ; tellement nombreuses que le faîtage de la maison haute et centenaire donnait l’impression de s’écrouler sous le poids des hôtes forcés et indésirables. Le père Séraphin ne se décidait pas à les chasser, craignant, répétait-il, d’attirer sur sa famille les malédictions des «esprits » ! Il avait des croyances superstitieuses. « Nous sommes tous des créatures du Bon Dieu, philosophait-il, après avoir ingurgité quelques tasses de tafia chez Andréamise… Et alors, il va falloir cohabiter les uns avec les autres, jusqu’à la fin des temps … Après tout, il y a de la place pour tout le monde…»
En l’absence d’Émilio, maman avait dépoussiéré sa vieille machine à coudre pour arriver à faire bouillir la marmite au moins deux fois par jour. Le petit magasin que mon père administrait, par mesure de précaution, était resté fermé. Elle confectionnait un peu de tout pour les dames et les fillettes du quartier : des robes du dimanche, des uniformes scolaires, des turbans, des couvertures, des taies d’oreiller, des foulards, des chemisiers… En retour, elle gagnait un peu d’argent qui servait à acheter de la nourriture, à régler les frais de scolarité et à exécuter les ordonnances médicales, lorsque l’un de nous était tombé malade : ce qui arrivait souvent avec ma sœur Gabriela. Elle avait la santé vraiment fragile. L’absence remarquée de mon père avait déposé des bulles de chagrin et de tristesse sur sa santé en porcelaine ; cette situation la rendait encore plus vulnérable aux affres de la souffrance et de la maladie.
On recommençait à donner des coups solides à la porte. La chaleur torride formait sur mon visage des gouttes de sueur pesantes que je ramassais de temps en temps avec ma main droite. J’ignore à quel moment de la soirée je suis allé me coucher. Morphée avait réussi, comme toujours, à creuser un sillon d’écart entre elle et moi… « Le soleil se lève aussi.* » Mais une fois seulement à l’Est ; une autre fois en Orient ; et une fois encore en Amérique ! Trois fois seulement que des hommes et des femmes intrépides ont débroussaillé les nuages de l’injustice, de la barbarie et de la cruauté pour permettre au soleil de venir éclairer et égayer des villes et des villages peureux, abattus, muets et silencieux.
J’ai entendu les pas légers de ma mère dans la chambre où elle passait des heures interminables, comme Pénélope, à tricoter jusqu’au matin son anxiété et son angoisse. Après un court moment d’hésitation, elle quittait son nid de douleur, traversait le modeste salon éclairé à la lueur mourante d’une bougie presque entièrement consumée, dressée comme un cocotier au fond d’une tasse fêlée. À travers les persiennes, ses yeux brûlants de fatigue et d’épuisement distinguaient une silhouette humaine couverte d’une couche épaisse d’ombre, le dos légèrement voûté, la tête penchée en avant… C’était Émilio Victor Paulémon!
Ma mère poussait un grand cri et s’empressait de déverrouiller la porte. En quelques secondes, mon frère, ma sœur et moi, nous nous retrouvions dans le petit salon rectangulaire. Nous n’avons pas dormi cette nuit-là. La libération inattendue de notre père nous avait enlevé le sommeil. Nous étions tous grisés de contentement et de joie. Nous avons tous pleuré de bonheur ! Instant vraiment solennel de félicité indescriptible ! Le visage du malheureux affichait une pâleur cadavérique. Tout son corps flétrissait d’une maigreur inquiétante… Nous étions en face d’un revenant. Les prisons du dictateur ont lacéré sa chair, gercé son âme, desséché son cerveau… Cela a pris du temps à Emilio de se remettre sur les rails d’une existence normale… Normale ? Une façon tout simplement de s’exprimer, car depuis cet automne de 1957, il n’y a plus de vie normale dans ce pays où toute une population ligotée dans la terreur est dépouillée de son souffle spirituel. Il ne lui en reste plus rien : sinon que pleurs, souffrances, misères, crimes et désespoirs!
L’esquisse de l’adolescent rebelle prenait forme petit à petit sur la toile de ma conscience révoltée. Tout cela n’échappait pas à l’observation quotidienne d’Éliane et d’Émilio. À cause de cela, ils nourrissaient des sentiments vifs et brûlants d’une inquiétude silencieuse, mais considérablement manifeste et justificative. Je croissais en âge et en maturité, ma mère et mon père avaient craint que j’eusse fini mon existence dans une prison insalubre et torturante de Port-au-Prince, où comme le militant socialiste, Gérald Brisson, qui creusa lui-même la fosse dans laquelle il allait être enseveli, après son effroyable exécution.
La maison de Zacharie Delva, le bras droit et le sorcier de François Duvalier, se trouve encore aux Gonaïves, exactement à la rue Christophe. De temps en temps, le « proconsul » venait y séjourner avec sa mère et d’autres membres de sa famille. Il n’était pas marié. Et n’avait pas d’enfants non plus. Se faisant appeler le « parrain », la valetaille venue de partout défilait, se courbait, s’agenouillait devant « Caïphe ». Elle lui baisait la main, l’embrassait sur les joues, comme font les membres de la pègre sicilienne devant Don Vito Corleone.
Le « houngan » du palais national effectuait souvent des tournées à travers la ville. Le cortège roulait à vive allure. Le « parrain » s’amusait à lâcher dans le vent des poignées de gourdes qui semblaient sortir tout droit de la « planche à billets ». Les papiers-monnaies flottaient dans les airs comme une nuée d’oiseaux migrateurs. La tribu des parias de La Saline, de Trou Cochon, de Carénage, etc., s’essoufflait derrière le convoi. La gueusaille se bousculait, se battait entre elle pour s’y approvisionner. Les plus téméraires, pour faire bonne pêche, allaient jusqu’à s’exposer dangereusement sous les roues des véhicules qui zigzaguaient dans un concert assourdissant de sirènes et de klaxons. Le spectacle se terminait toujours par des accidents majeurs. À chaque sortie de la camarilla, l’hôpital La Providence recevait des blessés légers et graves.
Une fois, nous avons vu l’un de ces billets d’une gourde qui est allé s’immobiliser aux pieds d’un mendiant. L’infortuné s’est mis à l’écart afin d’éviter d’être piétiné par la foule. Nous avons remarqué que celui-ci ne faisait aucun effort pour ramasser l’argent, alors qu’il disposait d’un net avantage sur la dame qui en a finalement bénéficié. Après le passage du cortège, nous allions trouver le gueux de sorte qu’il nous expliquât son attitude. Il a répondu sèchement : «Mon garçon, je suis pauvre. Mais je ne suis pas un chien ! » Nous avions huit ant. La scène demeure encore intacte dans notre mémoire.
Malgré les vents de la dictature qui soufflaient déjà à cette époque, il y avait des femmes et des hommes nobles, dignes et honnêtes dans ce pays au destin fragile, sombre, incertain et tragique.
Parler, lire, écrire : voilà les trois pires ennemis de la « révolution » de l’absurdité et de la démagogie. Et c’est ce que je faisais moi-même le jour et la nuit. Je lisais des ouvrages qui « désenténébraient » ma conscience. Je composais des poèmes qui réincarnaient Heinrich Heine. J’écrivais des piécettes qui caricaturaient les révoltés martyrs du « Bounty » duvaliérien. Je décrivais des misérables paysannes qui marchaient pieds nus dans les halliers touffus et épineux pour approvisionner les maisons des bourgeois. Je parlais aussi des visages d’enfants ravagés par les douleurs de la faim, qui ne fréquentaient pas l’école et qui, dès l’aube du jour, aidaient leurs pères dans les jardins exigus où se pratiquait une culture de subsistance. Je reproduisais le drame des jeunes lycéens qui abandonnaient les études et qui s’aventuraient sur la mer à la recherche d’une terre où l’existence humaine semblait pousser avec moins de ronces et d’épines. Dieu seul sait combien je voudrais être moi-même un «Publius Horatius » pour ce pays exploité, ruiné, délabré… Fuir, certes ! Mais avec l’intelligence de pouvoir s’organiser ! S’organiser et revenir ! Revenir preusement engager le combat – sur tous les fronts, sous n’importe quelle forme – pour la reconquête des «Libertés » républicaines et des « Droits » citoyens. Comme Hector, le héros homérique, le fils vaillant du roi Priam, j’ai fait le serment de revenir et le choix d’affronter les « Grecs ». De vaincre ou de mourir. Avec l’intelligence louverturienne dans mon cerveau et la baïonnette dessalinienne dans une main ! Car je n’arrive pas à faire le deuil de mon soleil assassiné. Vient le temps où l’individu ne doit pas seulement se contenter de «vivre et mourir. » Il doit aussi savoir «mourir pour vivre ». Comme Caonabo, Boukman, Sanite Belair… ! Et également comme Jésus de Nazareth et Jean le Baptiste ! Apprendre donc à scruter l’avenir au delà des frontières de l’égocentrisme et de la peur pour emprunter, comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Camilo Cienfuegos, la route de la gloire immaculée et perpétuelle.
Robert Lodimus
L’inconnu de Mer Frappée(Prochain extrait : chapitre VI, Le rappel à l’ordre)
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